Le discours humoristique ou les formes d’expression qui cultivent l’humour sont protégés par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d’expression) sans pour autant échapper aux limites définies par celui-ci.

CEDH 2 septembre 2021, n° 46883/15

Un enfant de trois ans avait porté à l’école maternelle un tee-shirt offert par son oncle sur lequel il était inscrit « je suis une bombe » et « Jihad, né le 11 septembre ». Le maire, informé par la directrice de l’école, avait alors saisi le procureur de la République pour dénoncer les faits. Une procédure pénale fut ouverte à l’encontre de l’oncle de l’enfant. Selon celui-ci, ce vêtement se voulait humoristique. Il fut toutefois condamné en France à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 4 000 euros d’amende.

Il a saisi ensuite la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se plaignant de la sanction infligée par la France.

Dans sa décision rendue le 2 septembre 2021, la CEDH rappelle dans un premier temps que le discours humoristique ou les formes d’expression qui cultivent l’humour sont protégés par l’article 10 de la Convention, y compris s’ils se traduisent par la transgression ou la provocation et ce, peu importe qui en est l’auteur.

Toutefois, il existe des limites à la liberté d’expression même si ces formes d’expression ne peuvent être appréciées ou censurées à l’aune des seules réactions négatives ou indignées qu’elles sont susceptibles de générer.

La CEDH rappelle que le droit à l’humour ne permet pas tout. Se prévaloir de la liberté d’expression a des conséquences qu’il convient pour son auteur d’assumer.

Ainsi, dans cette affaire, la Cour observe que la juridiction française tout en tenant compte de l’intention humoristique dont se prévalait le requérant, « a considéré que les inscriptions litigieuses ne pouvaient s’entendre comme constitutives d’une simple plaisanterie, mais reflétaient au contraire une volonté délibérée de valoriser des actes criminels, en les présentant favorablement ». Elle avait ainsi décidé que le prénom de l’enfant, Jihad et son jour et mois de naissance, le 11 septembre, ainsi que l’usage du mot « bombe » avaient « servi de prétexte pour valoriser, sans aucune équivoque, et à travers l’association délibérée des termes renvoyant à la violence de masse, des atteintes volontaires à la vie ».

Pour la CEDH « si plus de onze ans séparent les attentats du 11 septembre 2001 et les faits à l’origine de la présente affaire, il n’en demeure pas moins que les inscriptions litigieuses ont été diffusées quelques mois seulement après d’autres attentats terroristes, ayant notamment causé la mort de trois enfants dans une école. Eu égard à l’idéologie terroriste ayant présidé à ces deux attentats, on ne saurait considérer que l’écoulement du temps était susceptible d’atténuer la portée du message en cause dans la présente affaire. La circonstance que le requérant n’ait pas de liens avec une quelconque mouvance terroriste, ou n’ait pas souscrit à une idéologie terroriste ne saurait davantage atténuer la portée du message litigieux ». Ainsi, la condamnation prononcée par la juridiction française a apprécié la culpabilité du requérant « en se fondant sur les critères d’appréciation définis par la jurisprudence de la Cour, au regard des exigences de l’article 10 de la Convention et ce, après avoir procédé à une mise en balance des différents intérêts en présence ». Les « motifs retenus pour fonder la condamnation du requérant, reposant sur la lutte contre l’apologie de la violence de masse, apparaissent dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, à la fois « pertinents » et « suffisants » pour justifier l’ingérence litigieuse, et répondaient en ce sens à un besoin social impérieux ».

Enfin la CEDH rappelle que « la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une atteinte au droit à la liberté d’expression. En l’espèce, elle estime que dans les circonstances spécifiques de la présente affaire, le montant de l’amende prononcée reste proportionné. Par ailleurs, tenant compte en particulier du sursis dont la peine de prison fut assortie, la Cour peut conclure que la condamnation prononcée contre le requérant n’était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ».

Auteur : Éditions Dalloz - Tous droits réservés.